Repenser les espaces de travail : réflexions RH, juridiques et ergonomiques

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Repenser les espaces de travail : réflexions RH, juridiques et ergonomiques

REGARDS CROISÉS est une série d’articles en 4 dimensions sur le monde du travail, qui vous fait voyager dans des situations concrètes de la vie en entreprise. Une vision à 360° pour vous aider à prendre du recul et trouver des solutions constructives pour tous !

 


 

ÉPISODE 5 – REPENSER LES ESPACES DE TRAVAIL : RÉFLEXIONS RH, JURIDIQUES ET ERGONOMIQUES

 

Le regard d’Andréa, le RH :

La rentrée s’annonce active et jonchée d’imprévus…

Du côté des équipes : pendant la période estivale, le travail s’est organisé en alternance : 1 semaine en télétravail et 1 semaine sur site. Un retour d’expériences montre que :

– le rythme de l’alternance à la semaine est perçu comme trop long (sentiment d’isolement en télétravail, fatigue en transport) ; Une alternance 2 jours/3 serait plus efficace

– les collaborateurs, plutôt satisfaits à l’idée de se retrouver, sont déçus par le peu d’interactions qu’ils ont eues entre eux « A quoi ça sert de passer du temps dans les transports si on fait au bureau ce que l’on pourrait faire en télétravail ?»

Du côté de la direction, vu le faible taux d’occupation des locaux et le contexte économique difficile, le DG a évoqué la possibilité de louer une partie des bâtiments et de passer en « flex office ».

Du côté du contexte sanitaire : le risque croissant d’une 2ème vague de Covid renforce la nécessité de pouvoir « switcher » d’un mode présentiel à un mode mixte ou 100% distanciel.

La renégociation de l’accord télétravail était prévue pour la rentrée et elle devra s’inscrire dans une vision stratégique sur l’utilité et la valeur ajoutée de nos différents espaces de travail. La question du « Comment augmenter le temps en télétravail en garantissant le bien-être et l’efficacité des équipes » peut probablement trouver des réponses dans la façon de repenser nos espaces, leur complémentarité et leurs conditions de bon fonctionnement.

L’enquête BCG & ANDRH révèle d’ailleurs que :

– 85 % des DRH interrogés souhaitent développer le télétravail de façon pérenne ;

– 93% estiment que cela va bouleverser les pratiques managériales ;

– ¼ d’entre eux ont testé avec succès de nouveaux modes de travail (agiles…) pendant le confinement et 75% souhaitent les maintenir.

Les réunions de mon réseau RH m’incitent à investiguer autour de 4 problématiques :

L’adaptation des pratiques de travail à la flexibilité des équipes. Le télétravail de crise a démontré que les dysfonctionnements du travail en présentiel sont décuplés à distance. On ne peut pas travailler à distance comme en présentiel. Un « mapping » des pratiques, des besoins et moyens et des flux d’interactions est indispensable. Cet exercice permettra de définir objectivement les conditions pérennes de télétravail.

L’adaptation des espaces de travail par usage. Que fait-on en télétravail et que fait-on au bureau ? Quelles formes de télétravail utiliser (domicile, co-working, hub…) ? Construire des espaces au bureau dédiés à l’activation de la transversalité, la cohésion d’équipe, le partage de l’information, le transfert de compétences, l’accueil des nouveaux, tout en respectant les règles sanitaires, est un enjeu de 2021.  Cela nous conduira à définir, si besoin, les conditions de passage au Flex office intelligent.

– L’adaptation du rôle et des pratiques managériales. Le contexte Covid l’a démontré : relais de la transformation, les compétences managériales évoluent et doivent être accompagnées. La formalisation de ces compétences et leur évaluation est l’étape N°1 pour cibler les moyens pour les développer.

Maîtrise et sécurité des outils digitaux. Accompagner la montée en compétences digitales de tous, s’assurer de la mise en place d’outils performants et conviviaux et mettre en place des règles de protection interne et externe constituent aussi des enjeux clés.

La réflexion sur les espaces de travail peut être un moyen d’entamer les transformations d’organisation nécessaires et de fédérer les salariés autour d’un projet qui les touche tous. Notre capacité d’adaptation influe déjà sur notre attractivité comme employeur et fournisseur de choix.

Pour cadrer les aspects juridiques, je rencontre Camille. J’ai ensuite rendez-vous avec le cabinet ID Ergonomie-ARERAM car je souhaite mener cette démarche de façon participative et l’approche ergonomique m’inspirera certainement en ce sens.

 

Le regard de Camille, la juriste :

D’un point de vue juridique, nos réflexions concernant la réorganisation des espaces de travail sont guidées par :

– Le respect de l’obligation de sécurité de moyen renforcée, qui comprend : 1°) des mesures de prévention des risques professionnels, 2°) des actions d’information et de formation et 3°) la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Ces mesures doivent être mises en œuvre sur le fondement des neuf principes généraux de prévention prescrits à l’article L.4121-2 du Code du travail.

(https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=19CB25CA5F6C8BADBB5265DF4ED99F1D.tplgfr31s_2?idArticle=LEGIARTI000006903148&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20090528)

C’est ainsi que l’employeur est tenu, par exemple, d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à l’occasion de l’aménagement ou du réaménagement des lieux de travail (article L.4121-3 al.1) et, plus généralement, à l’occasion de la réorganisation du travail. Cette évaluation, est retranscrite dans un document unique (le DUER), mis à jour au moins chaque année et « lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » (article R.4121-2).

Une fois les risques identifiés, l’employeur doit mettre en œuvre les actions de prévention « garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs » (article L.4121-3 al.2). L’intervention d’un consultant en formation aux techniques de travail à distance, d’un conseil en ergonomie ou d’une hotline informatique (etc…) est particulièrement pertinente pour aider l’entreprise à élaborer les actions de prévention rendues nécessaires en raison d’un changement des modalités d’organisation du travail.

Concernant le flex office (situation où les bureaux ne sont pas attribués personnellement), l’employeur pourra prévoir, par exemple (CA VERSAILLES, 13 décembre 2018, n° 18/01104) : – des espaces de rangement et un casier individuel, fermé et mobile à proximité du lieu où le salarié s’installera – des écrans d’ordinateurs réglables – des bureaux réglables en hauteur – des sièges réglables (hauteurs, accoudoirs, profondeur d’assise, support lombaire), afin de réduire les facteurs de risques contribuant à l’apparition de TMS (Troubles Musculo-Squelettiques). L’employeur devra également prévenir le risque de dépersonnalisation de ce type d’espaces de travail et le risque d’augmentation des interruptions des tâches, pouvant entraîner un effritement du collectif du travail, potentiellement vecteur de RPS (Risques Psycho-Sociaux). L’employeur pourra, par exemple :

. Aménager des espaces collectifs conviviaux ;

. Prévoir des actions pour former les collaborateurs et surtout les managers à la prévention contre les RPS ;

. Mettre en place des questionnaires ou des groupes de travail permettant aux collaborateurs d’exprimer leur vécu et à l’employeur de prendre les actions correctives adaptées.

– Les dispositions légales relatives au télétravail, selon lesquelles celui-ci doit être effectué volontairement.

– Le dialogue avec :

. Le médecin du travail, dont les prescriptions doivent être scrupuleusement respectées pour assurer l’adaptation des postes ;

. Le CSE: Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le CSE doit être informé et consulté à l’occasion de « l’introduction de (…) tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » (article L.2312-8 al.2 4°).

 

Le regard de l’ergonome :

L’une des missions de l’ergonome consiste effectivement à repenser les espaces de travail dans des objectifs de maîtrise des coûts et de flexibilité des équipes.

L’approche ergonomique se veut participative en favorisant les échanges et la réflexion entre tous les acteurs du projet. À tous les stades, la démarche associe les collaborateurs, les managers et les partenaires sociaux pour anticiper et mettre en discussion les effets des transformations du point de vue de l’organisation, des méthodes de travail et de l’environnement. Aussi, notre méthodologie s’articule en plusieurs étapes :

1°) une analyse de la situation existante. Nous nous attachons en particulier à comprendre quelles sont les fonctions des espaces, pour quels objectifs, avec quels moyens humains et techniques, quels sont les espaces partagés, ceux dédiés à la circulation, etc.

2°) une analyse de l’activité réelle. En effet, il faut prendre en compte le fait que l’espace de travail s’organise au travers de liens de coopération entre les métiers, les services, les salariés, selon des besoins en communication formelle et informelle, d’autres besoins tels que ceux de la logistique, par exemple, dans des espaces dédiés ou partagés.

L’analyse de l’activité est réalisée auprès des collaborateurs et des managers pour appréhender la réalité des usages tout en questionnant le contenu et le sens du travail (qualité attendue, délais, …), son organisation (procédures, rythmes de travail…), afin d’agir sur d’éventuels dysfonctionnements. L’observation de l’activité nous permet également d’identifier les écarts entre le travail prescrit et le travail réel.

3°) une simulation de l’activité future. Après avoir validé le diagnostic de la situation existante avec les acteurs du projet, nous pouvons redéfinir de manière collective les espaces dans l’entreprise : configuration et mode d’implantation des postes en fonction des tâches réalisées et des relations de proximité inter-services, flux de personnes et de matériels entre les services, respect des règles sanitaires, etc.

Les espaces physiques du bureau peuvent être réorganisés en s’adaptant aux différentes activités qui composent le travail. Par exemple, certaines d’entre elles demandent une attention importante ou des échanges privés. Dans ce cas, des espaces confidentiels tels que des « bulles » de concentration, des cabines téléphoniques acoustiques ou de petites salles de réunion pourront être privilégiés. Pour d’autres activités, des espaces de travail ouverts et partagés seront plus adaptés, notamment pour des temps de créativité et d’échanges.

Nous pouvons aussi redéfinir les tâches qui peuvent être réalisées lors du travail à distance, prévoir les moyens techniques nécessaires, définir des temps de présence commune lors de réunions etc…

Dans tous les cas, les choix des espaces de travail sont orientés afin de développer la collaboration, de faciliter le travail d’équipe et de préserver le bien-être au travail des collaborateurs.

Par ailleurs, le contexte actuel est une véritable opportunité pour repenser l’organisation du travail et améliorer la performance tout en s’assurant du respect des conditions sanitaires. À ce titre, ce type de projets peut aider l’entreprise dans la construction de son accord sur le télétravail et sur le contenu du DUERP.

Le conseil Regards Croisés :

Dans les entreprises dans lesquelles l’activité s’y prête, la réflexion autour du télétravail n’est plus facultative. Elle répond aux attentes des collaborateurs en préservant leur santé et leur bien-être, impacte l’attractivité d’employeurs et de fournisseurs, réduit les émissions de gaz à effet de serre et soulage la congestion urbaine, et peut engendrer des économies liées aux frais immobiliers (modularité des locaux, flexwork).

Équilibrer les temps de travail dans les locaux de l’entreprise et à distance tout en préservant le sentiment d’appartenance et le collectif suppose de :

1°) Mener une réflexion stratégique globale pour faire de la complémentarité des lieux de travail une source de souplesse, d’efficacité et de bien-être ;

2°) Partir de l’analyse sur le terrain du travail réel pour repenser les espaces en fonction de leurs usages, de la variété des métiers et des situations ;

3°) Intégrer les collaborateurs, les partenaires sociaux et la médecine du travail pour en faire un projet fédérateur ;

4°) Aider le management à accompagner les transformations d’organisation et de culture.

 

Article rédigé par Alix LEPINE, Anne-Marie MARTIN et David MAMERI (Cabinet I.D. ERGONOMIE-ARERAM), Emmanuelle FOULONNEAU (Cabinet EFFIBÉ) et Claire FAURÉ

 

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